Philippe Lévy, le ‘’loup blanc’’ de la jeunesse quitte NOÉ par Débora Dahan

Après huit années marquées par un engagement sans faille et une volonté de renforcer la cohésion au sein de la jeunesse juive en France, Philippe Lévy quitte ses fonctions de directeur de l’Action jeunesse du Fonds Social Juif Unifié. Son départ marque la fin d’une ère, mais aussi le couronnement d’un parcours exemplaire au service de la jeunesse, de l’éducation et de l’engagement des jeunes. Il passe le flambeau à Débora Dahan, jusque-là son adjointe, qu’il a préparée depuis plus d’un an à reprendre les rênes du département, dans la lignée des projets qu’ils ont amorcés ensemble et qu’elle continuera de renforcer et d’adapter face aux nouveaux défis.

Quand dire, c’est faire !

Philippe Lévy, ancien permanent du DEJJ (Département Éducatif de la Jeunesse Juive) au mitan des années 1990, où il a fait ses classes auprès de Norbert Dana (zal), Paul Sayada, Jacques Bakouch (z’l), Yves Rouas (actuel président de l’ECUJE), et tant de ses mentors qu’il aimait à convoquer comme de véritables « balises » de son militantisme, est – à 52 ans – connu comme « le loup blanc » par toutes les strates de la communauté juive de France qu’il a écumées comme les chapitres d’un livre intime et choral.

Formateur dynamique BAFA-BAFD de l’OFAC et au Campus FSJU pendant de longues années, il est souvent abordé dans la rue par des trentenaires qui se souviennent de son charisme, d’avoir été marqués, ados, par ses méthodes actives, tout droit issues de son bagage en Éducation populaire, et autres impros-forums que Philippe affectionne en bon comédien, issu des prestigieux Cours Florent.

Connu des universitaires et autres sociologues de la Jeunesse dont il dévore les ouvrages et qu’il invite régulièrement dans son émission “Le Lunch by NOÉ” qu’il animait sur RCJ depuis six ans avec un talent inné et une voix radiophonique digne des plus grands chroniqueurs, Philippe aime les mots et les manie avec justesse … et justice, dans la volonté d’imprimer un engagement, une solidarité en actions, un « être au monde ».

Son phrasé et sa parfaite diction détonnent dans un monde atone, adepte de la novlangue et de l’affrication, où de si nombreux mots sont mis au chômage technique ; ce qui donne à la musique de sa passion éducative les ressorts enthousiastes d’un acte quasi performatif : « Quand dire, c’est faire ! » se plaît-il toujours à dire dans ses ateliers ré-créatifs auprès des jeunes. Ses prises de parole vibrantes rappellent, dans son engagement corporel et théâtral total, cette autre injonction abrahamique qu’il a fait sienne : « Hineni ! » (« Me voici ! »), du nom des séminaires qu’il a baptisés ainsi, ou encore « Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis ! ».

Sa vision novatrice et son pragmatisme, son énergie et son enthousiasme contagieux, sa façon de toucher les publics comme un metteur en scène concerne chaque élément de sa troupe dans une direction d’acteurs inspirée, ont participé, sans conteste, à transformer l’Action jeunesse du FSJU en un élan de vitalité et de projection essentiel pour les jeunes issus de toutes les couches de la communauté juive française, favorisant l’inclusion et la mixité sociale, si chères à ses yeux.

Lui qui se considère comme un « transfuge de classe » avec pour seuls bagages ses livres qu’il chérit plus que tout et dont il récite, tel un Fabrice Lucchini, les pages ou citations favorites émaillant son thésaurus littéraire ou poétique, a toujours su conjuguer les savoirs, les savoirs-être et le « faire ensemble ».

En huit ans, et ce n’était pas gagné dans le contexte plutôt morcelé de l’époque, il a su insuffler une dynamique nouvelle, en réussissant à fédérer tous les acteurs de la jeunesse juive autour de cette « arche » (le programme NOÉ) et la table du GIC (Groupement d’Intérêt Communautaire), et à donner aux éducateurs de tous poils un nouveau souffle, favorisant la créativité autant que le sentiment de responsabilité pour faire bouger les lignes et inscrire les actions de NOÉ dans le cadre de la citoyenneté, en prônant le “Tikoun Olam”, cette réparation du monde, dont on voit bien ici l’impérieuse nécessité.

NOÉ, le programme qu’il a incarné

Depuis son arrivée en tant que directeur en 2016, Philippe Lévy, en bon bâtisseur, avait pour ambition de promouvoir et d’animer le tout naissant programme NOÉ pour la Jeunesse, dont peu prédisaient l’énorme succès. Son objectif :  sous cette bannière joyeuse et constructive, accompagner les jeunes de 6 à 30 ans à travers des programmes éducatifs visant l’engagement, le leadership, le lien social, en installant les valeurs juives dans la Cité et en créant une relève de jeunes cadres militants.

Sous son impulsion, plusieurs initiatives d’envergure voient ainsi le jour.

Parmi elles, la mise en place de l’agrément en intermédiation des volontaires en service civique FSJU avec l’État, le Label NOÉ des colos (https://www.noepourlajeunesse.org/le-label-noe-des-colos/), qui garantit auprès des familles un standard de qualité des séjours pour mineurs proposés par les organisateurs de la Communauté, la sécurité physique et mentale des jeunes en colos et camps scouts, pour lesquels sont réservés les tickets vacances du FSJU à l’endroit des familles et un accompagnement spécifique, dont une cellule de veille sanitaire et psychologique estivale inédite. Cette charte est aujourd’hui signée par plus de 26 organisations qui reçoivent, chaque année, la visite de l’équipe de l’Action Jeunesse pour prendre le pouls du terrain.

Ce label, désormais prisé des parents et des tutelles, met l’accent sur la qualité pédagogique des séjours, en veillant à ce que ces moments de partage soient aussi des occasions d’apprentissage et d’ouverture au monde, d’émancipation et de transformation sociale.

Fort de son passé professionnel dans la protection sociale étudiante et de son expertise, Philippe Lévy a mené récemment un travail sociologique aussi minutieux qu’exigeant en pilotant, en partenariat avec les départements Social et Éducation du FSJU, une enquête nationale sur la jeunesse juive de France qui n’avait pas été menée depuis vingt ans ! Ce baromètre, réalisé auprès de plus de 1200 jeunes, est une véritable radioscopie de la jeunesse juive, mettant en avant les aspirations et craintes de cette nouvelle génération, qui a connu tour à tour les crises à répétition dont la Covid, la tragédie du 7 octobre 2023, et son corolaire : l’explosion de l’antisémitisme. Cette étude, qui sera poursuivie tous les deux ans, constitue pour l’institution et la communauté éducative tout entière un outil indispensable pour élaborer de nouveaux programmes et projets et savoir ce que « Jeunesse veut » ! (Cf. https://www.fsju.org/barometre-fsju-sur-la-jeunesse-juive-de-france/).

Philippe Lévy a également marqué l’histoire de l’Action jeunesse par son engagement en faveur de l’entreprenariat éducatif et social. Quatre saisons durant, d’abord avec son adjoint de l’époque Jonas Belaiche, – aujourd’hui délégué régional du FSJU Rhône Alpes et ami -, puis avec Débora Dahan, il fut aux manettes de l’Appel à Projets NOÉ et de l’incubateur associé, ayant permis à des jeunes de 18 à 32 ans de présenter une initiative, qui fait bouger le monde juif, devant le jury bienveillant des fondations, partenaires du dispositif (Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Fondation du Judaïsme Français, Fondation Rothschild, Sacta Rachi…).

De nombreux lauréats, qui ont bénéficié d’une bourse jusqu’à 10 000 € et d’un mentorat d’un an, se souviennent encore du coaching énergique du directeur de l’Action Jeunesse, lequel répétait à l’envi que devait s’opérer « un tutoiement entre les institutions et les jeunes », pour permettre de comprendre la fonction philanthropique de ces fondations mécènes de la jeunesse juive en bien des circonstances.

Enfin, parmi tant d’autres projets à son actif : les journées « Yom Lekoulam », les sorties buissonnières pour tous, sont un programme de médiation culturelle, à la croisée des autres départements du FSJU (Social, Jeunesse, Éducation et Collecte) qui rassemblent des centaines d’enfants suivis par les services sociaux, autour d’événements ludo-pédagogiques, dans le but de lutter contre la fracture culturelle et favoriser l’inclusion. Plusieurs sorties, – à la plage, au théâtre, au Musée du Louvre ou encore pour voir des comédies musicales-, ont été organisées pour des jeunes issus de milieu défavorisé ou en situation de handicap, offrant à chacun la possibilité de participer pleinement aux activités proposées et d’étoffer son capital culturel. « Notre pass culture à nous ! », aimait-il à rappeler.

Et nous n’oublierons pas de mentionner la reprise en main du Prix Corrin pour l’enseignement de l’histoire de la Shoah, créé il y a plus de trente ans au sein du Fonds Social Juif Unifié, par le département Jeunesse qui l’anime avec conviction depuis 3 ans. Son format a été repensé, son jury étoffé sous la bénédiction bienveillante des trois filles de Charles et Annie Corrin (zal), et ses objectifs intensifiés au regard des défis mémoriels qui concernent la nouvelle génération face à la flambée de l’antisémitisme. Au lycée Louis-le-Grand, chaque année, se succèdent les ministres de l’Éducation nationale qui viennent rappeler devant une salle pleine d’élèves, d’enseignants et d’historiens, l’importance de ce Prix et l’attachement indéfectible de leur ministère à la poursuite de cet indispensable travail de mémoire réalisé dans les quelque 40 projets de classes effectués dans les établissements scolaires et le tissu associatif. (https://prixcorrin-fsju.org)

Une empreinte durable

Sous son leadership, le FSJU a vu ses initiatives jeunesse se densifier et se diversifier, touchant des milliers de jeunes à travers le territoire, dont plus 18 000 jeunes dans les colos labellisées NOÉ ! Philippe Lévy laisse derrière lui un département solide et des programmes de qualité, avec un sens inouï de la communication, témoigne Gaby Bensimon, son ancien élu à la Jeunesse et papa du concept NOÉ. 

Ses collaborateurs témoignent aussi d’une « obsession de la transmission et du passage de relais », pour laisser un continuum dans l’activité, car « il faut toujours servir la cause et l’institution », tel était son mantra !  Les pierres qu’il a posées sont autant de jalons et de marchepieds pour « inventer l’avenir dans la concertation et la coopération ! » En dehors, point de salut, et la menace de la division qui guette et qu’il abhorre.

Le départ de Philippe Lévy n’est pas seulement un moment de transition, mais aussi l’occasion de saluer un parcours inspirant, une vraie personnalité, une présence qui nous manquera, mais dont on entendra encore résonner les rires et la voix, ses bons adages, au sein de l’espace de co-working de 60 m2 qu’il a voulu à l’image de la jeunesse « tonique et chatoyant » et ouvert à tous les éducateurs, stagiaires, alternants, étudiants et volontaires en service civique de passage dans le 5e arrondissement de la capitale.

Grâce à sa vision, son humanisme, sa générosité et son travail acharné, il a su faire de l’Action jeunesse du FSJU et de NOÉ la fierté du FSJU, une marque de référence, voire un fleuron de la vie juive en France. Son héritage, empreint d’ouverture et de solidarité, continuera à porter ses fruits dans un beau sillage.

Bien que son départ puisse laisser un vide, l’Action Jeunesse du FSJU semble aujourd’hui prête à affronter de nouveaux défis, forte des acquis des huit dernières années. Philippe Lévy, quant à lui, poursuivra probablement son engagement dans d’autres domaines, apportant toujours son expertise et son dévouement au service de la jeunesse et de la société.

Toutes les équipes lui souhaitent bé-atslaha (bonne chance !) et le remercient pour sa disponibilité et son empathie.

Gageons que les traces de son passage resteront inscrites dans l’histoire de la Communauté, dans la lignée des grands éducateurs de la communauté tels que Marianne et Bernard Picard, de mémoire bénie, Norbert Dana (zal), Simon Bokhobza (zal) ou encore Karen Allali (zal) disparue il y a quelques jours, sa grande amie depuis l’âge de ses 17 ans. Il lui a d’ailleurs rendu un vibrant hommage en guise d’au-revoir … coïncidant avec son propre départ . (https://www.facebook.com/FSJUNOE/videos/1613748609555601)